Nés au Moyen Age en pleine épidémie de peste, les Charitables de Béthune ont traversé les siècles et continuent d’officier aujourd’hui encore. Accompagnant les agonisants, portant les morts en terre, consolant les familles en deuil, ils sont indissociables de l’Histoire et du paysage social du Pas de Calais, perpétuant des usages fondés sur le respect et l’égalité des êtres devant la vie et la mort.
La Confrérie des Charitables : une tradition funéraire égalitaire
Histoire d’une vocation
La confrérie apparaît en 1188 à l’initiative de deux forgerons de Béthune : la grande peste fait alors rage, emportant des milliers de malades que personne ne veut soulager ni enterrer, par peur de la contagion.
Inspirés par Saint Éloi, les artisans décident d’organiser une charité, avec pour mission d’épauler les plus miséreux et d’accompagner les disparus jusqu’à leur dernière demeure : en effet à l’époque, ne pas bénéficier d’une sépulture consacrée, c’est encourir l’Enfer.
Ayant fait souche, la confrérie des Charitables va se développer sur les communes avoisinantes, jusqu’à devenir partie intégrante de la vie de la région. Reconnus par des rois comme Louis XIV, soutenus par des hommes politiques prestigieux comme Clémenceau, ils poursuivent leur tâche malgré l’adversité : ainsi ils continuent d’agir clandestinement durant la Révolution Française en dépit de la dissolution de leur Ordre, ils officient pendant les deux guerres mondiales, malgré les bombardements, malgré l’interdiction des occupants.
Une tradition immuable
En 1853, l’église veut les soumettre à l’autorité ecclésiastique : la confrérie devient alors laïque, adoptant la structure de l’association loi 1901, financée désormais par des dons.
On en dénombre désormais une centaine, réparties sur les communes de la zone. Toutes reposent sur un organigramme défini : en haut de la pyramide le doyen, le plus vieux des prévôts, élus pour deux ans ; ces derniers chapeautent les chéris, Chers et Bien aimés, en charge de la bonne tenue du cérémonial et qui gèrent les membres participant aux funérailles.
Ils célèbrent leur anniversaire en septembre, le dimanche suivant la Saint Mathieu avec la « procession à naviaux » allusion aux navets que les Charitables absorbaient initialement pour se protéger des maladies.
Cette procession est un incontournable de la culture du Nord, preuve que la confrérie est indissociable de la vie en commun dans ces bourgades. Du reste personne n’imagine être enterré là-bas sans la présence des Charitables.
Des gestes séculaires
Un temps menacée par manque de nouveaux participants, la confrérie tend à se développer à nouveau, chacune de ses antennes assurant une moyenne de 350 obsèques par an. Habillés en frac, mantelet et tricorne noirs, cravatés et gantés de blanc, onze des membres prennent en charge le cercueil au seuil de l’église pour l’amener devant l’autel. Haie d’honneur, recueillement, accueil de la famille, les gestes sont les mêmes depuis l’origine.
Une fois le service religieux terminé, les Charitables couvrent la bière d’un drap et d’une couronne de fleurs, la placent dans une charrette noire et la conduisent jusqu’à la tombe, où ils la font descendre.
Puis ils quittent le lieu pour se retrouver à l’entrée faisant cercle au « rond » inscrit devant chaque cimetière de la région. Le Chéri y liste les fautes de chacun distribuant les « bouquets » amendes de cinquante centimes, à ceux qui se sont trompés dans le déroulement du rituel.
Le même cérémonial pour tous
« Exactitude, union, charité » : le mot d’ordre de la confrérie définit son sens de l’égalité. Les Charitables sont présents à toutes les cérémonies, peu importe l’origine, la fortune, l’âge et la religion du défunt. Ils accompagnent aussi bien les corps que les cendres.
En parfaite adéquation avec les opérateurs funéraires comme avec les autorités religieuses, ils sont partie intégrante du deuil, refusent d’opérer une quelconque différence. Bénévoles, très impliqués dans leur action, ils apportent du réconfort aux proches, participent du passage vers l’au-delà.
« Requiescat in pace » concluent-ils en latin, le défunt mis en terre. Leur présence constitue l’hommage de la société à un de ses membres au moment de partir pour l’Autre Monde.
Ce principe concrétise l’idée d’une égalité profonde et indéniable, qui, si elle n’a pu s’affirmer durant l’existence, devient effective dans le trépas. Le message est lourd de sens à l’heure où les obsèques républicaines sont votées mais peinent à se mettre en place sur le reste du territoire.